"Moi je n'ai pas besoin d'avoir je ne sais quel juge, pour protéger je ne sais quel proche ou ami." Le 27 février 2012, dans l'émission "Paroles de candidats", François Hollande résumait en quelques mots son engagement de campagne n°53 : celui de garantir l'indépendance de la justice . Un thème érigé alors en fer de lance face à une majorité sortante taxée par l'opposition d'ingérence dans les "affaires" sensibles (Woerth-Bettencourt, Karachi, ou encore des "fadettes" du Monde). Mais à bientôt trois ans de son quinquennat, les gages d'une justice débarrassée du poids de l'exécutif se font toujours attendre. Coincée entre jeux d'oppositions politiciens et culture d'État, son indépendance reste pour le moment inachevée.
Pourtant, après son arrivée au pouvoir, les propositions du chef de l'État n'ont pas tardé à émerger. Le 16 janvier 2013, lors de ses voeux aux parlementaires, François Hollande réaffirmait sa volonté de réformer le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) . Régulièrement soupçonné de corporatisme et de subordination avec le pouvoir, ce dernier nomme les magistrats du siège et émet un avis consultatif pour ceux du parquet, dont les noms sont proposés par le gouvernement. Le CSM est également chargé de la discipline des magistrats, même si, dans les faits, celui-ci ne prononce que très rarement des sanctions disciplinaires à leur encontre.
Le 13 mars 2013, c'était au tour de la garde des sceaux Christiane Taubira de présenter son projet de loi sur l'indépendance de la justice. Le texte prévoit de réformer la Constitution afin de revenir sur la composition du CSM reformée en 2008 sous Nicolas Sarkozy, qui donnait alors la majorité aux membres non magistrats nommés par le pouvoir politique. Un second volet doit également interdire au ministre de la justice de donner des instructions dans les affaires individuelles et de redéfinir les relations entre le parquet et la chancellerie. Il faut dire qu'en la matière, il y a urgence. La Cour européenne des droits de l'homme condamne régulièrement la France au motif que ses procureurs ne présentent pas suffisamment de preuves d'indépendance.
Une réforme de la justice dans l'urgence politique
Mais pour être adopté, le projet de loi constitutionnel de Mme Taubira doit être entériné par référendum (une option exclue rapidement) ou réunir les trois cinquièmes des suffrages du Parlement réunis en Congrès à Versailles. Dans le dernier cas, il faut un certain temps pour rencontrer et (surtout) convaincre les parlementaires adverses de voter pour le texte. Sauf qu'avec la déflagration des aveux de Jérôme Cahuzac, François Hollande souhaite donner en réponse des gages sur l'indépendance de la justice et accélère le tempo de la réforme à l'été 2013.
Le 4 juin, le projet de loi est adopté à l'Assemblée. Mais les chances de rassembler le Congrès s'amenuisent de jour en jour. À droite, après le scandale Cahuzac, on ne se prive pas de tirer profit de la situation pour raffermir l'opposition. Un mois plus tard, la réforme du CSM est bien votée au Sénat… après avoir été complètement vidé de sa substance. Pour éviter un camouflet à Versailles, le gouvernement reporte la réforme sine die.
Maigre lot de consolation, le projet de loi sur l'indépendance est lui adopté quelques jours plus tard. Mais le répit est de courte durée. Fin juillet, un avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) critique vertement la réforme, fustigeant que "des sujets trop importants et trop complexes [soient] traités dans l'urgence". La Commission doute également de son application effective. Si les instructions individuelles sont bel et bien interdites , rien n'empêche le parquet de recevoir des instructions orales ou d'"anticiper les souhaits du ministère"... En bref, que la justice, selon la formule de Dominique Rousseau, ancien membre du CSM, reste soumise à une culture d'État, plutôt que de garantir l'indépendance des juges à l'égard du ministère, comme le recommande la CNCDH.
Relancé au printemps 2014 suite à l'épisode des écoutes téléphoniques de Nicolas Sarkozy, l'engagement de garantir l'indépendance de la justice figure encore aujourd'hui au rang des promesses inachevées. Inachevée, mais pas pour autant oubliée. Lors de ses voeux aux corps constitués, le 20 janvier dernier, François Hollande a réaffirmé une nouvelle fois son ambition de réformer le CSM et le parquet. Reste à savoir si le voeu sera pieux, à défaut de rassembler une large majorité.